mardi 14 avril 2015

Vampyros Lesbos - Jesus Franco



"Vampyros Lesbos" est l’œuvre charnière d'une longue, très longue filmographie d'un cinéaste fou, faiseur d'images compulsif. Jesus Franco avait déjà délaissé le classicisme de ses premières productions fantastiques (que je conseille chaudement au passage, rien que pour "Le Sadique Baron Von Klaus") mais n'avait pas encore franchi les barrières de la folie lors de son passage dans la boite de production Eurociné, coupable des pires forfaitures cinématographiques européennes.

Derrière une histoire assez décousue partagée entre l'héritage de Dracula envers une comtesse, des problèmes de couple et de l'occultisme cheap, on suit les aventures d'une femme d'affaires partagée entre la normalité de son couple et l'attirance extrêmement forte envers une femme vampire (interprétée par la très troublante Soledad Miranda, disparue malheureusement bien trop tôt). Tout cela se passe étrangement en Turquie, dans un Istanbul brumeux, mais pourtant très joliment filmé.
Mais pourtant, Franco ne fait jamais rien comme tout le monde et si on devait synthétiser son œuvre en deux mots, ce serait : approximation et fascination.

Approximatif car le scénario du film tient sur un timbre poste. La narration ainsi que les ressorts scénaristiques n'ont jamais été les forts du cinéaste ibérique. A y voir de trop près, Franco n'a pas grand chose à dire, si ce n'est recontextualiser une partie du mythe de Dracula en Orient et en offrir une lecture plus contemporaine. Contemporaine mais dépassée car tout respire l'époque des années 1960 et 1970 à plein nez, notamment celle du Flower Power avec ses baignades, son soleil et son ambiance érotique moite. Contemporaine mais dépassée, car la symbolique est parfois grossière, parfois dépassée dans le contexte du flower power. On peut également déplorer les tics habituels du réalisateur comme l'abus de zooms et de dézooms qui vous font facilement perdre deux dixièmes à chaque oeil, sans parler de digressions verbales pas souvent les plus bienvenues.


Du minimalisme, certes, mais quand même de la classe !


Mais ce film reste fascinant à plus d'un titre, et ce film reste même.... bon. Oui, un bon film, un vrai bon film fantastique. Car il faut également reconnaître que si Jesus Franco a toute sa place sur un site tel que nanarland, il a également été pressenti comme le futur génie du cinéma espagnol. Préférant volontairement la forme au fond, Franco traite son film tout simplement comme une œuvre d'art cubiste, avec beaucoup de plans inventifs, des effets artistiques bien cheaps mais paradoxalement très réussis, une attention particulière ayant été employée sur la photographie. La musique est superbe à défaut d'être classique et prolonge l'état de béatitude devant un film très beau, ultra immersif. La sauce prends pourtant, et telle une fièvre, on est perché à une histoire érotique entre les deux femmes, d'où découle une réelle tension et une ambiance à la frontière de la sensualité et du malsain... alors que le scénario tient dans un timbre poste. "Vampyros Lesbos" est avant tout un travail de l'image et de l'ambiance d'une certaine époque, et il faut à mon avis le voir pour ce qu'il est si on souhaite y prendre un réel plaisir. Franco a un véritable talent pour poser des ambiances psychédéliques et oniriques, iconiser ses actrices lors de séquences érotiques efficaces avec une utilisation des bandes sonores intéressante et hypnotique.

Au final, on peut même s'avancer à dire que "Vampyros" est un film fort bien construit dans sa portée artistique, et malgré les lacunes formelles, le pari du réalisateur de créer un univers fantastique unique et personnel est réussi.

Parce que Soledad, c'était la perfection ibérique

Basket Case (aka "Frère de sang") - Frank Henenlotter



Le cinéphile bisseux a souvent un film bien rangé, qui prend la poussière et n'attends sagement plus qu'une chose : être visionné dans de bonnes conditions. Un film culte bien souvent, précédé par une réputation que l'on rencontre régulièrement dans des canards spécialisés dans la tripaille ou des webzines douteux. « Il faut vraiment que je me le matte » se dit-on avant d'aussitôt oublier cette maigre résolution. Des fois, on y pense, mais on est fatigué ou alors on a pas vraiment la tête à ça. Et les mois passent, voire des années. À force, on en oublie carrément le synopsis. Dans mon cas, Basket Case était ce genre de film,que l'on maudit presque au fil du temps. Pourtant, j'adore les films d'horreur de série Z, surtout ceux qui commencent un peu à dater. 

Premier film du réalisateur du sympathique et cultissime Elmer, Franck Henenlotter signe en 1982 sa première œuvre horrifique qui prends place dans un New York crasseux en diable. Une première œuvre qui divise désormais un public en deux avis tranchés : D'un côté, nous avons un film culte, malsain et bien empaqueté malgré un manque flagrant de moyens. De l'autre, un métrage résolument bancal, tourné à la va-vite et tellement maladroit que l'on se trouve aux portes du nanar. Chef d'oeuvre trash ou nanar eighties ? Le film vaut en tout cas un visionnage, et ma première rencontre avec l'objet fut une surprise en deux temps. 

Je suis habitué aux séries Z d'horreur et aux conditions d'époques (une VHS usée, un son mono et un Coca), mais il faut avouer que la première demi-heure est loin d'annoncer un chef d’œuvre. Les dialogues sont assez longuets et inintéressants, la trame se met trop lentement en route et on se retrouve à faire face aux principaux défauts du film. Le manque de moyens, tant humain que technique, se fait durement sentir dès les premières minutes. Il n'y a vraiment pas un rond, c'est le cas de le dire et on peut très vite faire une liste de ce qui ne va vraiment pas : décors limités et stériles, couleurs ternes, amateurisme de la mise en scène, acteurs non professionnels cabotins, effets spéciaux particulièrement cheapos (du latex cru, du jus de tomate et du stop motion...). Il faut bien l'avouer, ça s'annonce mal. Même en s'y attendant, on se dit : "ah ouais, quand même !" 

Ah greuh greuh !


Pourtant, on se retrouve assez rapidement au générique après une dernière séquence d'anthologie, un petit sourire en coin. Bizarre ? Non, pas vraiment, car le film a décidé de finalement démarrer et de mettre au jour ses qualités au fur et à mesure après la découverte visuelle de l’élément perturbateur. Malgré tous ses défauts et bizarreries inhérents à la série Z, le film possède une trame narrative plus travaillée qu'il n'y paraît. Les différentes séquences entre meurtres, flash backs et relations humaines s'imbriquent naturellement dans une ambiance poisseuse et malsaine. Les meurtres sont imaginatifs, parfois originaux, les personnages rarement figuratifs et c'est un petit tour de force pour un film qui sent si fort l'amateurisme. Plus fort encore, on sent réellement quelque chose d'organique et de viscéral malgré le latex et le ketchup, et c'est bien la nature même d'un film d'horreur, les hurlements du frère siamois dégueulent littéralement, les meurtres sont brutaux et la crasse sort littéralement des murs de l’hôtel minable où loge le duo infernal. 

Le contexte du cinéma américain des années 1980 aide également beaucoup à la renommée, et finalement à la qualité de Basket Case : c'est sombre, sale et rampant (dans tous les sens du terme). Le New York de ces années là avait quelque chose de dérangeant, et ce film le retranscrit assez fidèlement dans son atmosphère. On peut rire du cabotinage des acteurs et des effets spéciaux, mais il faut avouer que ce film possède une aura forte et poignante (à défaut d'originalité) sur les thème des frères siamois. Plus encore, certaines séquences sont fortes au point de devenir iconiques comme la séparation des deux frères ou celle du rêve, fantasmagorique et quasiment poétique, qui est un vrai bon moment de cinéma. 

Si j'avais à le noter, j'y collerais volontiers un sept sur dix : Un ratage sur le papier largement rattrapé par de bonnes idées, une bonne volonté communicative ainsi que quelques fulgurances qu'il serait malhonnête de taire. Néanmoins, en contextualisant ce film dans son époque, tant sociale que cinématographique, le six serait plutôt de rigueur. Il ne faut pas oublier que Basket Case n'est qu'un avant-goût, bien imparfait, du délirant et très bon Elmer, qui va plus loin dans la thématique de la perversion organique. Si l'on veut aussi une Amérique décadente, un New York crade et poisseux pour lequel ce film tire aussi son statut de film légendaire, il y a bien d'autres films d'horreur à connotation trash qui retranscrivent cette ambiance d'une meilleure façon. Je pense bien sûr à Driller Killer de Ferrara, au traumatisant Combat Shock sorti étrangement sur le catalogue Troma. On peut aussi penser aux peep shows infâmes du slasher Nightmare de Scavolini. Et si l'on veut rire tout en se vidant les tripes, autant aller vers le cultissime Street Trash

Au final, quand on prend Basket Case pour ce que c'est, une série Z sans le sou mais qui veut bien faire et réussit en (bonne) partie son pari : C'est franchement un bon film d'horreur. Truffé de défauts et d’incongruités, certes, mais un vrai bon film de genre quand même qui saura combler les attentes des bisseux et autres aventuriers de l'extrême.